L'enjeu de l'alcool dans les villages amérindiens


Tout au long du voyage, j’ai été régulièrement averti sur les problèmes d’alcoolisme fort dans les communautés amérindiennes et la place problématique qu’il occupait dans la régulation sociale des communautés.

A)          La reconnaissance juridique des dangers de l’alcools pour les amérindiens et la responsabilisation des parties prenantes de leur consommation.

Premièrement, il y a une reconnaissance juridique des dangers des alcools chez les amérindiens dont la génétique leur donne en moyenne une résistance bien inférieure à celle du reste de la population. Par exemple, si l’on a donné de l’alcool (dans un bar, un restaurant ou même des contextes informels) à des amérindiens et que ces derniers se comportent ma ou commentent des délits, on peut être poursuivit pour intoxication et la mise en danger d’autrui. Ainsi, il y a une spécificité juridique qui inverse la responsabilité sur les dérives des comportements alcoolisés dans le cas des Amérindiens.

Cependant, l’alcool reste tout à fait accessible au sein des communautés. Ils en produisent régulièrement eux-mêmes à base de manioc. Plusieurs personnes m’ont alarmé des récurrentes bagarres qui éclatent dans les communautés régulièrement après les consommations d’alcool.

B)          La communication quotidienne problématique des amérindiens.

Pour comprendre pleinement la propension à ce que des conflits violents se produisent, leur caractère systémique et leur fonction régulatrice dans l’organisation sociale des villages (les différenciants des dérives violentes classiques que peuvent provoquer parfois la consommation d’alcool partout ailleurs), il convient de mettre en perspective ses comportements alcoolisés avec les interactions habituelles des amérindiens et leur forme de communication non-alcoolisée. Effectivement, en discutant avec les Amérindiens, j’ai personnellement été marqué par les problèmes de communication et l’évitement systémique des situations de désaccord qui les mettrait mal à l’aise. Il se dégage une forme de gène à dire clairement ce qu’ils souhaitent où montrer un désaccord. Ainsi, lorsque l’on converse, il est difficile de comprendre les intentions, les envies ou l’avis de la personne avec qui l’on discute qui ne présentera pas la situation clairement, semblera souvent favorable ou indécise ou indiscernable de surface. On est censé « deviner » ou comprendre des sous-entendus à partir du contexte. J’ai personnellement vécu une situation assez cocasse lorsque j’étais à Mabaruma qui provenait de cette communication, assez étrange de ma perspective ( et qui m’a rendu paradoxalement mal à l’aise…). En effet, le Toshao de Mabaruma m’avait proposé de venir à la réunion du village avec les différents conseillers pour que je puisse leurs poser des questions et voir comment s’organise cette réunion. J’ai posé quelques questions au début de la réunion – avant qu’elle commence – et je m’étais assis à la table. Ensuite, je restais assis en attendant que la réunion commence -pensant qu’il me laissait aussi assister à la réunion pour comprendre les enjeux actuels et poser des questions à la fin de la réunion. Ainsi, il y a eu 3 minutes de blancs – littéralement- durant laquelle les 12 conseillers me regardaient et attendaient que je comprenne de moi-même que je devais les laisser seuls. Ils n’osaient pas me dire de sortir clairement. Au bout de trois minutes, une conseillère m’a proposé de rejoindre un ami qui était en train de jouer au foot pas très loin. Dans cet exemple, le conflit a été résolu et n’était pas de forte envergure mais parfois ce malaise de 3 minute concerne des enjeux importants (financiers, choix politiques du village) et les désaccords restent latents dans les échanges relativement longtemps sans que de résolution ne soit trouvée.

C)          Le déclenchement de bagarres en état d’ivresse pour résoudre les conflits latents quotidiens.

Ainsi, lorsque ses personnes entrent en ivresse (très souvent dû à leur faible résistance à l’éthyle), les comportements se délient et terminent par dire emportés dans la colère de l’ivresse leurs désaccord sans avoir de contrôle sur eux-mêmes et leurs comportements. Ainsi, des bagarres éclatent souvent autour de conflits latents qui émergent d’un seul coup sous l’effet de l’alcool. Ce phénomène m’a été directement relaté à plusieurs occasions. A Red Hill notamment par Roland (c’est un village de 400 personnes seulement !) qui m’expliquait que des bagarres à la machette éclataient sporadiquement ou encore Fabien à Moko-Moko où il a vécu 7 ans. Il ne consommait pas d’alcool et donc a pu assister lucidement de nombreuses fois à ses situations. Par exemple, il a été victime de menaces soudaines de ses voisins qui avaient des tensions avec lui qu’il ignorait jusque-là. Par exemple, concernant les parcelles de terrains qu’il occupait pour le pâturage de son bétail ou ses plantations prenant supposément trop de place.

On voit donc que les bagarres occupent une fonction régulatrice de l’ordre sociale car c’est à travers elles que les conflits internes sont parfois résolus, violement (Je ne généralise pas, cela ne concerne évidemment pas tout le monde et il s’agit encore une fois d’hypothèses).

D)          La relative silenciation de ses problèmes par la nature même de l’ivresse et les spécificités juridique des communautés amérindiennes. 

On peut évidemment se poser la question de savoir pourquoi est-ce que cette communication problématique perdure.

Une première hypothèse explicative est que l’ivresse entraine des phénomènes d’oubli et de black-out régulièrement après les disputes rendant possible un retour à la normale relatif entre les parties prenantes des bagarres qui peuvent difficilement s’éviter au sein de communautés si petites et si isolées. Ainsi, le cadre quotidien du village reste assez paisible. Fabien m’a dit qu’il fut particulièrement stupéfait par ces enchainements rapides de moments de dispute et de clame. Un soir des personnes se disputent et le lendemain se comportent de manière amicale ou du moins cordiale, comme si de rien n’était.

La seconde hypothèse explicative est l’existence d’une police propre aux villages assez incompétente. Elle n’est pas désignée par l’Etat central mais composée d’habitants du village choisis en interne par le Toshao. Celle-ci n’est pas nécessairement obligé d’intervenir lors de ce type de conflits. Ainsi, elle n’est pas indépendante du pouvoir du Toshao et ce dernier a intérêt à cacher les conflits à la police extérieure qui pourrait alerter sur les problèmes de gestion du village en intervenant. Le Toshao a intérêt à intérêt à garder une image positive de son village, bien qu’elle soit fausse, et il a le pouvoir de manipuler facilement cette image grace à la juridiction spécifique aux villages amérindiens. Effectivement, la police nationale n’a pas le droit d’entrer dans les villages sans l’autorisation du Toshao ou sa sollicitation. Par exemple, lorsque j’ai visité le village de Kumu, j’ai conversé avec le Toshao en lui posant clairement la question de la gestion des bagarres dans le village et s’il y en avait. Il m’expliquait que le phénomène était marginal et qu’il laissait la police intervenir pour les rares cas graves. J’apprenais le lendemain que le village était connu auprès des villages voisins pour les soucis de pédophilie et d’alcoolisme réguliers. Ceux-ci sont cachés et mis sous omerta avec la complicité de la police villageoise et des habitants habitués.

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